« Qu’il retourne en Afrique ! » Sous le coup de l’émotion, on a largement commenté la séquence et les interrogations concernant l’existence d’un pluriel dans cette invective lancée par Grégoire De Fournas, député RN, à l’Assemblée nationale, le 3 novembre dernier. Voici venu le temps de prendre un peu de hauteur, tant sur cette sinistre déclaration que sur la perception du fait migratoire.
La polémique De Fournas, ou l’exemple parfait du racisme qui « passe bien ». « Retourne en Afrique » ne serait raciste que s’il est question du député LFI Carlos Martens Bilongo et pas des migrants venus d’Afrique. On aura vraiment tout entendu ! Finalement, le député RN a été sanctionné pour avoir créé du grabuge. Quelle lâcheté s’est donc emparée de nos politiques ? Hormis Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, dont le positionnement n’a laissé place à aucune équivoque, estimant que la question de la démission du député du RN se posait, je n’ai trouvé personne à la hauteur des enjeux. La tergiversation elle-même (pluriel ou singulier, bon ou mauvais racisme ?) aura montré à quel point nous sommes gangrénés par cette idéologie mortifère : celle qui traite de l’immigration, de l’humain, comme on parle de la gestion d’une marchandise (bateaux, stock de migrants, chiffres, acronymes en tout genre). Une déshumanisation tranquille qui fonde le terrain fertile à l’extension de la haine.
À entendre certains, le député RN n’aurait fait qu’exprimer une opinion politique. Le chroniqueur Clément Viktorovitch en justifie ainsi l’acceptance. Pourtant, son décorticage rhétorique, si souvent pertinent, semble cette fois s’enrayer. Des propos délictueux ne peuvent constituer une opinion ordinaire. À bien y regarder, la vision du chroniqueur est cependant largement répandue dans la société française. Qu’on prenne l’exemple des débats autour du voile : ceux qui souhaitent interdire sa présence dans l’espace public et qui se drapent de laïcité veulent en réalité imposer au plus grand nombre leur rejet de la visibilité de l’islam et des musulmans dans notre pays.
Alors, racisme ? Oui, mais largement toléré. Le « bon racisme », en somme. Celui qu’on accepte, au nom des sondages d’intention de vote pour le Rassemblement National. On se dit que cette xénophobie ordinaire, si délictuelle soit-elle, est trop largement répandue pour ne pas devenir la norme. Ringardisée, la promotion de l’antiracisme semble être devenue un facteur de trouble à l’ordre public. Qu’importe si la Cour européenne des Droits de l’homme ne cesse de demander aux États de mettre en place des politiques publiques pour aller dans le sens de l’inclusion et de la solidarité. On continue de plus belle, avec cette hypocrisie consistant à évoquer des différences culturelles ou de civilisations comme justification du rejet, le propos énonçant la supériorité des races devenu trop abrupt.
Ne parlerons-nous plus jamais que d’incompatibilité et de frontières ? Rien dans cette peur de l’autre, cette haine au nom de la différence ne nous dira ce que doit être une véritable politique migratoire, digne et humaniste. Personne pour nous dire comment mieux accueillir. Aucune réflexion sur l’immigration comme réalité historique, comme fait social, dont il nous faut à tout prix optimiser les conditions. Aucune, non plus, sur la manière dont nous pourrions changer les mentalités, rôle éminent du politique, celui de l’élévation du peuple. Le combat est-il donc perdu ? Soyons-en certains : la défaite des idées passe par celle du courage.